Comme nous l’avons dit, il faut situer le théâtre latin dans le cadre des ludi, c’est-à-dire dans le cadre des spectacles civiques. C’est donc un théâtre d’état qui organise les journées de jeux par l’intermédiaire de certains de ses magistrats. C’est dans ce contexte que l’on commanda à Livius Andronicus la première pièce pour les jeux donnés en l’honneur de Jupiter au mois de septembre.
Le jeu de l’acteur
Encore une fois, le jeu de l’acteur obéit à un code très précis, et connu du public. Tous ses gestes et ses déplacements sont codifiés et ce code est organisé et combiné à la fois par le poète et par le metteur en scène afin de distinguer la pièce du lot. Il ne faut pas oublier que tout étant codifié et ce, jusqu’aux mimiques, le poète et le metteur en scène construisent la pièce à partir de ces codes et non pas le contraire. Les possibilités de variations pour les auteurs sont donc réduites. Cette unité quasi permanente dans le théâtre romain a une fonction unificatrice : les romains de tout l’Empire doivent pouvoir se reconnaître dans les fêtes institutionnalisées, et il en va aussi bien dans les ludi scaenici que dans les ludi gladiatori. Les Jeux montrés à Rome, Nîmes, Orange, Arles, Tarragone, El Jem, Alexandrie, et partout dans l’Empire, doivent avoir une valeur universelle et rassembler le peuple romain. C’est pour cela que les histoires, les personnages, les masques, les gestuelles, sont connus à l’avance. Ce que le public romain attend est la mise en œuvre par l’acteur de toutes les règles qu’il connaît. Le public attend que l’acteur bouge, saute, danse, se déchaîne sur scène et c’est moins l’histoire que la performance de l’acteur qui va faire la différence. Les thèmes choisis sont eux aussi sans équivoque sur les objectifs profonds des ludi : liant violence, sexe, peur et rire, les jeux romains ont sans conteste une fonction apotropaïque universelle. Le «théâtre» romain, mais peut-on encore l’appeler théâtre, met en scène des émotions, des valeurs et des questionnements qui vont au-delà des territoires, des religions et des coutumes locales. Les grands ludi mettent en scène et en action les grandes questions de l’humanité : qui nous sommes, d’où nous venons et surtout où nous allons. Ils placent les spectateurs face à l’invisible et tentent d’éloigner les peurs et les maux de toute société humaine. Ils sont la réponse choisie par les romains et qui unira pendant des siècles des millions de personnes dans tout l’Empire.
Lieu, décors et machineries
Ce qui fait la spécificité des ludi romains, c’est l’installation d’un espace ludique, différent du réel où peuvent être présentées toutes les réalités de l’humanité civilisée et libre, en d’autres mots « romaine ». Les jeux s’inscrivent par les espaces qu’ils mettent en œuvre, parmi les pratiques d’échange, ils font partie de tous ces actes qui réaffirment la hiérarchie sociale, non comme un système de pouvoirs, mais comme un réseau de service réels et symboliques qui tissent et assurent la cohésion de la collectivité civilisée. Même si les jeux affichent tous un caractère rituel, les lieux de spectacle ne sont pas pour autant des temples. Pendant longtemps, le mot «théâtre» n’existe pas à Rome, ni même l’édifice que nous nommons théâtre. Le mot «théâtre» vient du grec theatron qui signifie «lieu d’où l’on regarde» et que l’on pourrait rapprocher par cette définition du mot latin spectacula.
Dans les premiers temps du théâtre romain, les ludi scaenici étaient donnés dans une baraque en planche construite pour l’occasion : scaena (lieu public), et qui a donné en français moderne « scène ».
Plus tard, on construira des édifices permanents composés de :
- La cauea : c’est-à-dire l’ensemble des gradins étagés en demi-cercle,
- L’orchestra : c’est-à-dire l’espace le plus proche de la scène, occupé très tôt par les spectateurs de marque.
- Le pulpitum ou proscaenium : c’est-à-dire la scène surélevée.
- Le frons scaenae : c’est-à-dire le mur monumental qui ferme la scène, sur lequel on accroche le décor.
Les théâtres de la fin de la République et du Haut-Empire avaient une machinerie très complexe et sophistiquée (machina tractoria) permettant des effets de grand spectacle (envol, disparition, changement de décor rapide,…). Le mur de scène est très élevé, souvent luxueusement décoré de matériaux précieux. Des toiles peintes fixées sur le mur forment le décor. Certaines façades, faites de colonnes et de niches ouvragées sont complètement recouvertes d’or et d’argent. Pour certains spécialistes, ce luxueux décor du frons scaenae aurait pour effet de projeter de la lumière sur les comédiens.
Dans son traité d’Architecture, Vitruve décrit trois types de scène, scène en tant qu’espace de jeux : la tragique, la comique et la satirique.
- Pour la scène tragique, Vitruve décrit «des colonnes, des frontons élevés, des statues et tels autres ornements qui conviennent à un palais royal».
- Pour la scène comique, «la décoration représente des maisons particulières avec leurs balcons et leurs fenêtres disposés à la manière des maisons ordinaires».
- Pour la scène satirique, le décor est «ornée de bocages, de cavernes, de montagnes et de tout ce qu’on voit dans les paysages peints».
Vitruve laisse de plus entendre que les décors ne varient que peu d’une pièce à l’autre. A cela s’ajoute une stricte codification des rôles et costumes qui permet une reconnaissance immédiate par le public et une compréhension directe des actions menées.
Les tragédiens sont immenses et étranges, portent couronne, diadème et coiffure qui renforcent leur stature rallongée par le port des cothurnes. Ils portent de longues robes et parfois des manteaux et sont très peu mobiles, jouant très fortement sur le pathos, et sur leur aspect étrange.
Les comédiens ont des tuniques plus simples, souvent plus courtes et distinguant leur fonction.Les personnages sont répartis en classes : hommes, femmes, jeunes, vieillards, esclaves, militaires, parasites, etc.
Toutes les techniques de la scène concourent à créer un théâtre de l’effet : musique tonitruante ou lancinante, façades étincelantes, torches, figurants par centaines, costumes aux couleurs éclatantes. L’espace même de la représentation imposant un spectacle et des efforts grandioses, il ne peut être question de minimalisme ou de nuances. Pour une compréhension du plus grand nombre, le spectacle doit être simple, clair, codifié à l’extrême jusqu’à la redondance permanente.